La non-représentation d’enfants est un délit pénal. C’est le fait pour un parent de refuser de rendre ou de remettre un enfant à l’autre parent, qui est en droit de le demander, en application d’un jugement du Juge aux affaires familiales.
Sachant que la grande majorité des enfants réside habituellement avec leur mère, c’est elle qui est le plus souvent l’auteur du délit de non-représentation d’enfants, et le père la victime.
Mais pourquoi une mère se met-elle hors la loi en empêchant ses enfants de voir leur père ?
Bien souvent, une mère qui refuse que le père voit ses enfants a souvent de bonnes raisons, mais (trop) régulièrement, la justice préfère y voir une mère possessive qui souhaite conserver ses enfants pour elle seule et/ou se venger du père en lui refusant l’accès aux enfants. C’est ainsi que l’on peut lire des leçons de morale, expliquant aux mères que leurs enfants ne leur appartiennent pas et qu’ils ne peuvent grandir qu’en étant auprès des deux parents.
Lorsque l’on se trouve dans une situation de souffrances importantes et que la mère assume de ne pas remettre les enfants au père, la question à se poser est : dans cette relation triangulaire père/mère/enfant : Qui est coupable ? Qui est victime ?
Dans cet article, je prends délibérément comme exemple des situations où la mère se retrouve dans un dilemme, et préfère ne pas donner l’enfant au père, pour le protéger d’un danger.
Cependant, je défends aussi des pères face à des mères fusionnelles ou toxiques, qui empêchent les enfants de rencontrer leur père. Dans ces cas-là, les pères soit baissent les bras, soit se battent pour récupérer la garde de leurs enfants, mais ne dépensent pas d’énergie et d’argent dans des procédures correctionnelles pour non-représentation d’enfants.
Les acteurs autour du délit de non-représentation d’enfants
L’ENFANT : l’objet de toutes les convoitises
C’est lui que le père et la mère réclament.
Le Juge aux affaires familiales fixe les règles du jeu
Il fixe les conditions du partage du temps des parents avec l’enfant : résidence de l’enfant, horaires et fréquence du droit de visite et d’hébergement.
Le Procureur de la République (1) : un personnage central
Il centralise les plaintes pénales déposées dans les commissariats et les gendarmeries. Il reçoit les rapports d’enquête de la Cellule départementale des Informations Préoccupantes. (2)
Il a un pouvoir de décision majeur : il peut classer l’affaire sans suite. Il convoque le parent délinquant pour un rappel à la loi ou devant le tribunal correctionnel pour qu’il soit jugé. Il saisit le Juge des enfants s’il estime que le mineur est en danger.
A l’audience du tribunal correctionnel, il requiert l’application de la Loi, et la condamnation du parent auteur du délit à une peine d’amende ou d’emprisonnement, avec ou sans sursis.
Le Juge des enfants :
Il prend les décisions afin de protéger les enfants en danger. Il demande aux services de l’Aide Sociale à l’Enfance d’enquêter sur la vie de la famille. Il peut ordonner une expertise psychiatrique de la famille. Il peut décider de placer les enfants en danger chez un parent, dans une famille d’accueil, ou en foyer.
Quel intérêt pour la mère de ne pas confier ses enfants au père ?
Lorsque les deux parents sont sains et équilibrés, il est bénéfique pour tous que le père, si ses enfants résident chez la mère, ou inversement, les reçoive régulièrement chez lui.
Ainsi les enfants ne perdent pas le lien avec leur père, et se construisent dans cette nouvelle configuration familiale. De son côté, la mère met à profit ce temps pour prendre soin d’elle, et tenter de reconstruire sa vie. La mère a donc intérêt à confier ses enfants au père un weekend sur deux et la moitié des vacances scolaires.
Un vrai motif de la non-représentation d’enfants :
Les violences familiales :
La plupart du temps, quand un enfant refuse de se rendre chez son père, c’est qu’il s’est déjà passé quelque chose, qui apparait grave et important à ses yeux (par exemple : désintérêt du père à son égard, remontrances, insultes ou moqueries de son père, qui correspondent à des violences psychologiques, ou de la maltraitance physique et/ou sexuelle, comme de l’inceste, des attouchements, un viol, des coups, des brûlures…).
C’est souvent dans le cadre scolaire que l’enfant manifeste son mal-être. Après ses révélations, le directeur de l’établissement scolaire peut saisir la Cellule des Informations Préoccupantes, s’il estime que l’enfant et sa fratrie courent un véritable danger. Cette dénonciation peut être rapide ou prendre plusieurs années… De là, démarre une enquête administrative, et le chemin de croix pour le parent gardien, qui devient tout autant suspect que le parent décrit par l’enfant comme dangereux pour lui.
Saisir d’urgence le Juge aux affaires familiales pour modifier le jugement
Même si la mère a la conviction que l’enfant subit des violences chez son père, ce dernier dispose d’un jugement du Juge aux affaires familiales qui l’autorise à continuer de recevoir l’enfant à son domicile. La mère se met en infraction en ne remettant pas l’enfant au père : elle commet dès la première non-représentation d’enfant au père le délit du même nom.
Dans l’urgence, la mère doit saisir le Juge aux affaires familiales pour obtenir une modification du droit de visite et d’hébergement du père. Avec une simple requête elle aura une date d’audience dans 3 à 6 mois.
Sinon elle doit être en mesure de fournir à son Avocat un dossier suffisamment étayé pour convaincre au préalable le Juge de bénéficier d’une procédure d’urgence, et donc de délais plus courts (une audience sous 3 semaines environ).
Comment convaincre le Juge du péril et de l’urgence ?
Ce peut être : par des témoignages, des mains courantes ou des plaintes pénales relatant les maltraitances, des certificats médicaux, des témoignages de voisins ou de membres de la famille.
Les médecins sont souvent trop discrets dans leurs écrits, sans doute par crainte des sanctions de leur Ordre. Dans les cas extrêmes, l’enfant victime de violences physiques ou psychologiques par un parent manifeste sa souffrance par une anorexie mentale, des tentatives de suicide pouvant conduire à son hospitalisation. Ces gestes désespérés ont pour but que sa souffrance soit entendue par la justice, au risque d’y perdre la vie.
Les Juges aux affaires familiales privent rarement un enfant de tout contact avec son père, induisant qu’il est de « l’intérêt supérieur de l’enfant » de continuer de fréquenter son « bourreau », au bénéfice de la présomption d’innocence du père non condamné au pénal.
Comment le piège de la temporalité se referme sur la mère
C’est la course contre la montre pour obtenir une décision du Juge aux affaires familiales, qui interrompe les droit de visite et d’hébergement du père, et ainsi autorise officiellement la mère à ne plus remettre l’enfant à son père.
Dans les faits, les jugements qui privent un père de tout droit de visite et d’hébergement sont très rares. Ces refus de privation sont motivés par : le conflit parental, le défaut de remise en cause des parents, le « sacro-saint » besoin des enfants d’entretenir des relations avec leurs deux parents, couplés de la présomption d’innocence pénale à l’égard du père maltraitant.
Quand la mère a obtenu une date d’audience proche devant le Juge aux affaires familiales (en référé ou à bref délai), le père demande souvent un renvoi de l’audience.
Il peut aussi communiquer un énorme dossier la veille de l’audience. Cela place la mère et son Avocat devant un dilemme : renvoi pour répondre, ou maintien de l’audience, sans réponse écrite, pour sortir au plus vite de la situation.
Pour peu que l’enfant use de son droit à être entendu par le Juge aux affaires familiales, l’affaire est souvent renvoyée à plusieurs mois. Pendant tous ces mois, entre les deux audiences, le jugement initial du Juge aux affaires familiales continue de s’appliquer, à la faveur du père. A chaque non-représentation de l’enfant à son père, la mère réitère le délit et le père peut porter plainte.
Ainsi avant que le Juge aux affaires familiales ait rendu une décision modificative, le père peut faire citer la mère devant le Tribunal correctionnel, pour plusieurs mois de non-représentation d’enfants. La mère risque alors d’être condamnée.
Pour en savoir plus sur le droit de visite et d'hébergement
Une illustration dramatique
En février de l’année N les enfants de Lucie refusent de retourner en vacances chez leur père et dénoncent les sévices qu’ils subissent. Les enfants en parlent à l’école, et la directrice de l’école saisit aussitôt la Cellule des Informations Préoccupantes.
De son côté, la mère rencontre immédiatement un Avocat. Une audience en urgence est fixée le mois suivant devant le Juge aux affaires familiales, soit en mars de l’année N. Le père demande le renvoi, et les enfants demandent à être entendus par le Juge.
L’affaire est renvoyée en septembre, et un jugement est rendu par le Juge aux affaires familiales en octobre de l’année N, qui transforme le droit de visite et d’hébergement du père, en droit de visite d’une heure par mois dans un espace de rencontres parents/enfants. De février à octobre de l’année N, la mère n’a pas remis les enfants au père, qui peut alors la poursuivre pour non-représentation d’enfants.
En juillet de l’année N, le père fait citer la mère devant le tribunal correctionnel pour ce délit. A l’audience devant le tribunal correctionnel en janvier de l’année N + 1, le Procureur requiert la condamnation de la mère. Elle est condamnée à une peine d’amende et à des dommages et intérêts pour le père.
Dans le même temps, soit en janvier N+1, le Procureur est saisi par la Cellule des Informations Préoccupantes, après 11 mois d’enquête (de février de l’année N à janvier de l’année N+1). Le Procureur transmet immédiatement le dossier au Juge des Enfants, en lui demandant d’apprécier si les enfants sont en danger (depuis février N).
Je déplore l’absence de position cohérente du Parquet des Mineurs, qui saisit le Juge des Enfants car il craint qu’ils soient en danger, et en même temps demande la condamnation de la mère par le tribunal correctionnel, sous prétexte qu’elle n’a pas exécuté le jugement civil du Juge aux affaires familiales. Ceci revient à nier à la mère le droit de protéger ses enfants du danger présumé… que se passerait-il si la santé des enfants en souffrance se dégradait au point de conduire à leur décès ? La mère serait-elle poursuivie pour non-assistance à personne en danger ?
C’est seulement un an et demi après la 1e dénonciation des maltraitances, (en juin N+1) que le Juge des enfants organise sa 1e audience avec parents, enfants et travailleurs sociaux.
Le Juge ordonne une Mesure Judiciaire d’Investigation Educative (MJIE). Le rapport de la MJIE est déposé en avril de l’année N+2. En juin de l’année N+2, soit deux ans après la dénonciation du danger, le Juge des enfants décide de placer les enfants chez la mère, ce qui est rare, car les juges des enfants placent les enfants ailleurs que là où ils ont déjà leur résidence habituelle.
Ainsi, en deux ans et demi, la mère a saisi, à ses frais, trois fois le Juge aux affaires familiales, pout voir diminuer, petit à petit, les droits de visite du père. Elle doit gérer le mal-être de ses enfants, leur suivi par divers thérapeutes, les convocations par les services enquêteurs, les convocations au commissariat pour non-représentation d’enfants. Ses plaintes pénales sont classées sans suite…
« Si je ne vais pas chez papa, maman ira en prison, il m’a prévenu. »
Que faire pour que les enfants soient reconnus par les juridictions comme de vraies victimes ? Ils sont placés au cœur d’un dilemme dramatique : subir les maltraitances du père ou rester avec leur mère au risque qu’elle aille en prison.
Il est regrettable que les tribunaux condamnent une mère qui ne remet pas ses enfants pour les protéger d’un danger avéré, mais non établi par la justice pénale.
Le rapport de l’ONU de 2003 sur les Droits de l’Enfant
Déjà en 2003, la France avait été « montrée du doigt » dans un rapport de l’ONU, de M. Juan Miguel PETIT, qui dénonçait le mauvais traitement par la justice française des plaintes de mères pour les sévices sexuels subis par leurs enfants.
En page 14 du rapport il est écrit :
« Le Rapporteur spécial a évoqué les énormes difficultés auxquelles sont confrontées les personnes, en particulier les mères, qui portent plainte contre ceux qu’elles soupçonnent d’abuser de leurs enfants, sachant qu’elles s’exposent à des mesures éventuelles pour accusations fallacieuses, mesures qui, dans certains cas, peuvent conduire à la perte de la garde de leurs enfants.
Certaines de ces mères utilisent les voies de recours légales jusqu’à ce qu’elles n’aient plus les moyens de payer les frais d’assistance juridique ; il leur reste alors seulement le choix entre continuer de remettre l’enfant à celui qui, selon elles, abuse d’elle ou de lui, ou de chercher refuge avec l’enfant à l’étranger. »
Et en page 15 il écrit : « Le Rapporteur spécial est préoccupé non seulement par la vulnérabilité particulière des parents, en particulier des mères, qui intentent des actions en justice à l’encontre d’auteurs présumés d’abus sur leurs enfants, mais aussi par la situation des professionnels de la santé, soucieux de protéger un enfant ou appelés à déterminer la véracité d’allégations d’abus sexuels en procédant à un examen médical ou psychiatrique de l’enfant. »
Morale de l’histoire : un coût financier pour la mère et de longs mois de souffrance et d’errance judiciaire pour les enfants
Dans un monde idéal : tout irait plus vite, les maltraitances seraient gérées en priorité. Il n’appartiendrait pas à la mère d’initier les procédures devant le Juge aux affaires familiales.
Une meilleure coordination entre les différents intervenants, pour plus de cohérence entre les décisions rendues par le Juge aux affaires familiales, le Parquet et le Juge des Enfants.
Une meilleure communication interne au sein des services enquêteurs et de poursuite du Parquet, afin que soit établi le lien entre les plaintes déposées pour maltraitances, les signalements et les poursuites de la mère pour non-représentation d’enfant.
Dans les faits, en général, la mère croit l’enfant qui lui dénonce des maltraitances, puisqu’elle-même a quitté son conjoint pour échapper aux violences physiques ou morales qu’il lui infligeait.
Il est dans l’air du temps de ne pas évoquer les griefs au cours du mariage dans les procédures de divorce, et de divorcer par consentement mutuel sans juge, ou en acceptant le principe du divorce… ce qui prive les femmes de leur droit à être reconnues comme victimes de violences conjugales par le Juge aux affaires familiales.
Si les Juges aux affaires familiales s’intéressaient à nouveau aux causes des séparations, ils comprendraient peut-être mieux le danger que peuvent représenter pour les enfants les droits de visite et d’hébergement du père. Les violences conjugales sont des violences familiales qui ont des répercussions sur les enfants.
Les conseils de Maître LELACHE, avocate en droit de la famille à Versailles :
Il est possible que les violences que vous avez subies durant votre vie conjugale perdurent, et se reportent sur vos enfants.
Si vous divorcez suite à des maltraitances, je vous recommande de conserver des preuves qui pourront étayer vos demandes de limitation des droits de visite du père. Vous pouvez porter plainte jusqu’à 5 ans après les faits.
Vous entrez dans une course de fond et de vitesse. C’est de la stratégie. Armez-vous de patience et de preuves. Entretenez une relation de confiance avec votre Avocat. N’hésitez pas à consulter des associations d’aide aux victimes.